Les vins à forte personnalité (1/3) : jusqu’où va t-on dans la diversité sensorielle au sein d’une appellation d’origine ?

 

Vinosciences Bourgogne : 200 professionnels de la filière viticole à l’écoute des chercheurs

Le Pôle Technique et Qualité du BIVB souhaite constituer une véritable passerelle entre le monde de la recherche et les vignerons bourguignons : « la recherche et l’expérimentation, dans le secteur de la vigne et du vin, doivent répondre à des problématiques de terrain et travailler à l’amélioration continue de la qualité des vins de Bourgogne. » Aussi, pour permettre à ces deux univers de se rencontrer et d’échanger, les premières « Vinosciences de Bourgogne » ont eu lieu la semaine dernière au Palais des Congrès de Beaune devant près de 200 professionnels de la filière viticole.

Une table ronde animée par Antoine Gerbelle consacrée « aux vins à forte personnalité »

Après une matinée très enrichissante de mini conférences, Antoine Gerbelle, journaliste à la Revue du Vin de France et parrain de cette première édition, a animé une table ronde dédiée « aux vins à forte personnalité », réunissant différents acteurs de l’univers du vin (cavistes, viticulteurs, experts marketing, historiens, acheteurs…). Les intervenants et participants ont pu ainsi partager leur point de vue et leur expérience sur ce sujet d’actualité.

« On aurait pu dire vin alternatif, vin de défricheur sensoriel »

« On aurait pu dire vin alternatif, vin de défricheur sensoriel » explique Jean-Philippe Gervais le directeur du Pôle Technique et Qualité du BIVB : « comment peut-on les prendre en compte finalement pour illustrer cette diversité dans une Bourgogne dont on sait que la notion de durabilité est associée également à cette notion de diversité sensorielle. Cette question a été intégrée dans le plan Amplitude 2015 en disant qu’une Bourgogne durable se devait de mieux comprendre la place de ces vins en termes de marché et en termes de contrôle qualité produit puisque la question s’était posée de façon dure pour ces producteurs là à l’époque. (…) Jusqu’où va t-on sur la question de l’appartenance ou pas au sein d’une ODG, au sein d’une appellation d’origine, jusqu’où va t-on dans la diversité sensorielle ? »

Un vin issu d’une approche esthétique qui n’est pas forcément consensuel

Pour Jean-Yves Bizot, viticulteur à Vosne-Romanée et Président de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de Dijon, « les vins à forte personnalité résultent d’une approche esthétique et donc technique particulière mais raisonnée et dont le résultat n’est pas forcément un produit très consensuel, qui crée le consensus. Donc il peut effectivement être rejeté lors de dégustations de type agrément ou de type suivi aval de la qualité. Ceux qui partent sur des vins nature peuvent souhaiter le faire car ils ne trouvent pas forcément une satisfaction esthétique dans les vins qui sont proposés aujourd’hui. Cela part bien d’une recherche pour aboutir à une technique, ce n’est pas un parti pris technique, au départ il y a vraiment une recherche esthétique. »

 

Au nom de quoi on ira dire à un consommateur : « tu es dans le faux » 

Pour Olivier Roblin, caviste aux Caves du Panthéon à Paris, les choses se font très naturellement pour la vente de ces vins là : « il suffit de demander à nos clients de faire l’effort de se poser la question de leur goût. Moi je les incite particulièrement à affirmer une liberté de goût, à désapprendre peut-être leurs habitudes de dégustation de boisson. On débouche différents types de vin qui s’opposent dans les styles, les intentions, sans forcément leur présenter les étiquettes ni communiquer sur la façon dont ils sont faits et on observe leur comportement. Je préfère que mes clients se portent sur le goût. »

« Tout le monde est susceptible d’apprécier ces vins un petit peu décalés que d’aucuns jugeront à défauts. Certains le sont sans doute en effet mais face à quelqu’un qui vous dit ne pas comprendre de quoi vous parlez si vous parlez du défaut et qu’il s’en régale et bien je pense qu’il faut l’accepter et le tolérer. Au nom de quoi on ira dire à un consommateur : « tu es dans le faux ». Il affirme son goût, il s’en régale, ce n’est pas compliqué et avec des niveaux de prix parfois très élévés ou pas du tout, c’est complètement éclaté. C’est un marché de niche qui représente peut-être 1% de la production nationale avec une clientèle adaptée ».

 Il peut y avoir des niches pour chihuahua ou des niches pour Saint-Bernard

Pour Joelle Brouard, directrice de l’Institut de Management du Vin à l’Ecole Supérieure de Commerce de Dijon, « il n’existe pas encore de données statistiques pour prendre en compte ce type de produit mais à la vue des signaux envoyés par les bars à vin, chez les cavistes, il y a bien un marché pour ce type de produit. (…) On parle de niche, vous évoquiez 1%, je ne sais pas si c’est 1%, mais n’oubliez pas que le terme « niche » est quand même intéressant  ; mais il peut y avoir des niches pour chihuahua ou des niches pour saint-Bernard donc la question aujourd’hui est de savoir à quel niveau on se situe. Je crois qu’on est sur des marchés qui sont en train de se développer parce que le consommateur de vin n’est pas que consommateur de vin, il consomme aussi d’autres produits. Et la démarche qu’il a dans le vin est aussi une démarche qu’il a sur d’autres catégories : il recherche de la diversité. »

L’histoire qu’on raconte devient aussi importante que le goût ou le prix

« Dans le mot « personnalité », il y a quand même le mot de « personne ». Le lieu où a été fait le produit est important mais qui a fait le produit devient aussi un élément important. Les cavistes ou les prescripteurs journalistes sont bien des intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs pour parler de celui qui produit, et derrière le produit il y a aussi l’homme qui le fait et la présentation de l’homme, ce qu’on appelle dans notre jargon le « storytelling », l’histoire qu’on raconte devient aussi importante que le goût ou le prix. »

A suivre demain la deuxième partie de cette table ronde sur les vins à forte personnalité

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