Quelle est la différence entre une toile à 150 000$ et un dessin d’enfant ? Frédéric Brochet interroge le goût du vin

« Le goût du vin hier, aujourd’hui et demain » thème du 1er Vinosciences de Bourgogne

« Le goût du vin hier, aujourd’hui et demain » était le thème de la première édition des Vinosciences de Bourgogne, organisée le 3 novembre dernier par le Pôle Technique et Qualité du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB). Au programme de cette journée, six conférences, une table ronde sur les vins à forte personnalité et des ateliers ludiques autour du vin et des 5 sens. Cette journée a réuni près de 200 personnes au palais des congrès de Beaune.

« Le goût n’est pas « dans la  bouteille » mais se construit dans la tête du dégustateur » 

Frédéric Brochet, créateur de la Société Ampelidae et Docteur en œnologie et spécialiste de la psychosociologie de la dégustation, a particulièrement captivé l’attention du public en abordant la question du goût de demain dont voici un extrait : « si la subjectivité du goût dans son sens premier (qui dépend du sujet) semble de mieux en mieux acceptée et reconnue dans le monde du vin, celle de « représentation plurisensorielle » l’est beaucoup moins. Quelques études ont en effet mis en évidence l’importance du prix dans la constitution d’une représentation du goût au sens large, aux côtés des informations idéelles (qui ont trait aux idées que l’on se fait de l’objet, comme les lieux où il est consommé, les personnalités qui le consomment…). Le goût n’est en effet pas « dans la bouteille » mais se construit dans la tête du dégustateur, soumis aux influences de sa culture, son histoire et bien entendu son patrimoine génétique. »

 

 

Le goût de demain influencé par l’ouverture des marchés asiatiques entre pensée magique et prix

« L’envolée surréaliste des prix stratosphériques inédits dans l’histoire du vin d’un nombre très limité de crus toujours plus recherchés, le développement important du nombre de publications parlant de ces crus augurent d’un « goût de demain » où la pensée magique (le mythe) et le prix (la réalité trébuchante) se taillent une part de choix. Il y a fort à parier que l’ouverture des marchés asiatiques n’est pas étrangère à cette évolution car les dimensions mystique et pécuniaire y sont des préoccupations essentielles. En parallèle, quelques études montrent pourtant l’extrême diversité des préférences olfactogustatives des consommateurs qu’il est très difficile de relier à leur origine géographique, leur niveau socio-culturel ou leur mode de vie. Malgré tout, il existe de véritables groupes de préférences communes qui semblent universels et dont on ne maîtrise pas encore les clefs de construction. »

Une ère nouvelle du vin grâce aux blogs, les ventes aux enchères, les films ou les mangas ?

On ne sait donc pas encore prédire autrement qu’en le comparant par la dégustation à ses confrères si un vin convient ou non à un consommateur. Quoi qu’il arrive dans son choix et ses préférences finales, c’est bien plus que le goût physiologique et la constitution objective du vin qui sera prise en compte, mais aussi tout l’environnement marketing, parfois de Mr Jourdain (sans le savoir) d’un vin. Cette réalité de nos modes de fonctionnement laissera la place à des territoires du goût variés, animés par des blogs ou des ventes aux enchères, des films ou des mangas qui ouvriront une ère du vin totalement nouvelle peut-être à même de pulvériser les hiérarchies établies ou au contraire de les renforcer.

Quelle est la différence entre une toile à 150 000$ et un dessin d’enfant ?

« Il faut absolument trouver les clés dans un monde où la dimension mystique, et en tout cas des populations occidentales, se perd. On se raccroche à un maximum de valeurs qui sont finalement la création de nouveaux mythes autour du vin. Et ce qui se passe peut-être dans le vin et ce qui va se passer dans l’avenir, c’est peut-être la différence entre ces deux toiles. Vous avez une toile ici qui vaut 150 000 $ et une toile qui ne vaut rien du tout. Laquelle est laquelle ? C’est celle de Miro, c’est une grande toile.( à gauche) Il y a trois toiles qui sont des traits. Il prétend avoir passé beaucoup de temps pour les faire parce qu’il voulait communiquer une image très forte. Et la suivante (à droite), est d’Adèle (Brochet) qui a donc 6 ans. Il est important quand même de bien comprendre la différence entre les deux. Adèle n’a pas d’intention lorsqu’elle a fait son dessin alors que Juan Miro, avait une intention. Donc, l’évolution de l’art ou l’intention compte plus que l’œuvre elle-même. »

Une évolution importante à venir dans le goût du vin ?

« Et peut-être que c’est finalement, là aussi, une évolution importante à venir dans le goût du vin, en particulier dans l’évolution de la problématique de la représentation, précisément en raison de l’évolution des marchés asiatiques, où les idéogrammes racontent une histoire. À l’opposition de nos langages qui sont alphabétiques, dans les langages idéographiques, chaque idéogramme raconte une histoire, chaque idéogramme peut avoir plusieurs sens. Cela ne fait pas intervenir les mêmes zones du cerveau lors de la lecture et donc il y a une alimentation des zones cérébrales qui est tout à fait différente. »

Demain est-ce que Vougeot et la Côte ne seront plus que de la zone pavillonnaire ?

« Est-ce que tout cela va remettre en cause les classements que l’on connaît et qui nous semblent tout à fait immémoriaux ? Demain est-ce que Vougeot et la Côte ne seront plus que de la zone pavillonnaire et de la zone industrielle ? Par exemple, entre les deux guerres, l’essentiel du terroir du Haut Brion a été contaminé par des petites maisons à l’époque du fait d’une loi qui facilitait l’accession à la propriété. On peut donc tout imaginer…. Cela peut paraître étrange mais quand on compare à un autre exemple, qui date de quelques milliers d’années, les vins les plus prisés il y a 2 000 ans, étaient produits sur le Vésuve avec la baie de Naples et Pompéi, aujourd’hui il y a pire que de la zone pavillonnaire puisqu’il y a des bidonvilles….Il faut se méfier des évolutions, elles peuvent être parfois dramatiques, mais parfois, elles consolideront notre avis. Il ne faut donc pas que cela empêche qui que ce soit de boire du vin et de se le représenter à sa manière en espérant que cette représentation assurera un bon goût et une bonne longévité aux vins de Bourgogne. »

Extrait de la conférence de Frédéric Brochet donnée le 3 novembre 2011 à Vinosciences

Retranscription des conférences sur demande

Il est désormais possible de se plonger ou se replonger dans ce sujet passionnant. En effet vous pouvez obtenir la retranscription des conférences sur demande auprès du service presse du BIVB. Ce document très complet reprend les propos des différents chercheurs sur la notion de goût du vin et de ses composantes au cours du temps, mais aussi sur les nouveaux enjeux qui se présentent pour le vignoble bourguignon. De plus, la vidéo de la table ronde sur le sujet particulièrement complexe des vins à forte personnalité est toujours disponible sur le youtube du BIVB.

Programme complet

Commentaires

  1. « Le goût n’est pas dans la bouteille mais se construit dans la tête du dégustateur » Frédéric brochet vigneron dans le Poitou (issu de l’agriculture biologique en goût buccal), docteur en œnologie.
    Ma réponse :
    Dans un cours de dégustation aux étudiants manager de Ferrandi à Paris, je présente deux vins : 1 conventionnel et 1 naturel (issu de l’avn, issu de l’agriculture biologique et vinifié avec les levures indigènes et peu de soufre). Le premier est toujours apprécié : en effet, les élèves ont l’habitude de ce goût et l’ont en mémoire. Le second est détesté, les élèves ne connaissent pas ce goût « spirituel ». Ma chance est la découverte depuis deux ans de vitajuwel : mon « bidule » de verre remplie de cristal de roche et de améthyste libére une énergie qui joue sur les atomes du vin. Il démaquille un vin conventionnel et ouvre un vin naturel. A la fin de la dégustation, les questions fusent :
    - Monsieur, le nez du premier ressemble maintenant à du caoutchouc brulé : « c’est le soufre »
    - Monsieur, maintenant il y a du citron désagréable qui apparait en fin de bouche : « c’est l’acidification »
    - Monsieur, le premier n’est plus bon, mais le second est meilleur maintenant : « c’est normal vitajuwel révèle la vraie nature du vin »

    En résumé, je démontre que leur mémoire a été trompée.

    Les différents goûts :
    Notre mémoire doit être « rééduqué » et ouverts à tous les goûts.
    Le fait de Reconnaître le soufre , divers adjonctions et les deux styles (buccal et spirituel) est la base générique de tout dégustateur.
    Le « goût » se fait dans la tête : la mémoire gustative, et les choix (qu’ils soient émotionnels, habituels de chaque individu) dirigent notre sélection. Qu’il soit buccal (comme Robert Parker) qu’il soit spirituel (comme ma pauvre personne), c’est la mémoire qui dirige le goût.

  2. Merci pour ce bon papier, François.
    Je retiens surtout la « pensée magique », qui nous amène aux frontières de la psychanalyse. Est-ce que se payer une bonne bouteille n’ouvre pas les portes de la toute-puissance, et que finalement, en effet, peu importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse du gamin transformé en super-héros ? Il se pourrait que, d’un verre de Romanée-Conti à « just do it » de Nike, il n’y a pas grande différence, finalement.

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