« Les chevaux dans les vignes. Hommage à mon père et à sa génération » par Daniel-Etienne Defaix, vigneron à Chablis

Texte repris avec la permission de Daniel Etienne Defaix, vigneron à Chablis.

 

Les chevaux dans les vignes. Hommage à mon père et à sa génération

Quand je vois revenir les chevaux çà et là dans quelques parcelles pour les travaux des vignes, je ne puis m’empêcher de penser à mon père. Je me revois tout petit à ses côtés. Oh le pauvre ! Qu’il a pu souffrir à travailler ses vignes avec et derrière ses chevaux. Pourtant il les aimait beaucoup et nous les faisait aimer, ils étaient ses compagnons, quasi inséparables. Il les soignait généreusement et avait toujours des gestes pour leur montrer sa gratitude et son bonheur de les avoir. Sans eux, il n’aurait fait qu’un ou deux hectares de vignes, avec leur aide, il pouvait en travailler quatre.

Et pourtant, quand il y avait des guêpes ou des taons, les chevaux devenaient des bêtes folles qui partaient dans tous les sens en culbutant la vigne et le vigneron, en arrachant les piquets et les fils de fer. Quand le temps étaient à l’orage, il nous disait « je ne peux rien en faire, ils sont incontrôlables, mon père râlait à voix haute et nous enseignait : « Ah ! si seulement j’avais quatre sous de plus je me paierai un tracteur, il y en a un au village qui essaye le prototype et cela lui change la vie, il va tellement vite qu’il ne travaille même plus le dimanche, et quand la terre est sèche, il peut même labourer ! »

Mon père rêvait comme tout à chacun pourrait le faire d’un monde meilleur, d’un travail moins dur, d’un monde plus confortable, d’un monde ou l’Homme ne serait plus l’ouvrier de l’animal, souvent aussi la victime de la bête mais simplement l’ouvrier de son travail, et il faut bien l’avouer un peu plus le maître de son destin et de sa passion.

Cette aspiration à ce monde de liberté est arrivée et avec elle la fête pour la famille les amis et les copains de chasse, cela ressemblait à une grande fête de village, rien n’était trop beau pour célébrer l’événement : très vieilles bouteilles, repas de fête : 2 entrées 2 poissons 2 viandes… La liberté cela se fête dans les vignobles.

Il était fier le Papa, s’offrir un tracteur pour lui mais c’était cent fois supérieur aux congés payés ! Pensez donc, il pourrait désormais s’offrir une partie de chasse un dimanche sur deux sans être éreinté du dur labeur de la semaine !

Ce sont de très beaux souvenirs d’enfance car ce sont des souvenirs de réussite. La réussite apporte la joie dans une famille, la joie est porteuse d’encore plus d’espoir et du coup mon père et sa génération de vignerons ont reconstruit le vignoble de Chablis. Nous leur devons tout.

Je me rappelle de cette explosion du vignoble, je l’ai simplement vécu en grandissant, la règle est assez facile pour que je m’en rappelle : 700 ha quand j’avais 7 ans, 1700 quand j’avais 17 ans, 2700 quand j’avais 27 ans, 3700 à 37 ans …. Et à ce jour il y à 5200 hectares de vignes plantées !

Alors, je ne peux que penser à mon père quand je vois le retour (certes anecdotique pour l’instant) des chevaux. Je regarde cela comme un spectateur qui ne veut pas oublier son histoire, sa terre, sa famille. Je sais bien sûr que mes ancêtres étaient avant tout de durs travailleurs et que l’heure aujourd’hui est plus à la communication. Une nouvelle génération est efficace sur le sujet et elle est prête à beaucoup de choses voire concessions pour faire du buzz. Ont-ils tort ou raison qui le sait ?

Je ne me permettrai pas de juger mais pour ma part en matière de travail, je vais rester sur le chemin que j’ai connu et apprécié, une efficacité tout en discrétion et en qualité avec toujours le sens du travail bien fait et du devoir accompli pour me donner encore les vins que je bois et que j’aime tant.

Même si tu ne bois plus du vin de nos vignes, je te dis : Santé Papa !

Daniel-Etienne Defaix le 19 mai 2012.

Commentaires

  1. Defaix dit:

    Merci François ! Cheers !

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