Attention, le vin peut favoriser la convivialité…
Ces derniers jours, la presse s’est fait l’écho d’une décision de la Cour de cassation à propos d’une campagne de publicité de 2004 sur les vins de Bordeaux qui a opposé le CIVB (Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux) à l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie). La Cour de cassation a ainsi jugé que «lesdites affiches comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés.»
Les vins ne devraient-ils être représentés que de façon désincarnée ?
Erwan Le Morhedec, avocat au barreau de Paris depuis plus de dix ans et spécialiste en droit de la publicité (notamment pour les boissons alcoolisées) et en droit de l’Internet, revient sur son blog sur cette décision : « l’arrêt laisse perplexe. Quelles sont donc les « références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique » ? S’agit-il de l’expression souriante et avenante des personnages, et faudra-t-il que les prochaines publicités gomment tout indice d’une éventuelle appréciation du produit ? Ou s’agit-il plus généralement même du seul fait de faire figurer des personnes ? Pourtant, représenter un professionnel du secteur du vin – et chacun avait fourni une attestation établissant qu’il était bien viticulteur, négociant, maître de chai… – n’est-il pas une « référence aux terroirs de production » ? La notion de terroir recouvre en effet non seulement les terres mais aussi les hommes. Les vins ne devraient-ils être représentés que de façon désincarnée, dépersonnalisée, les privant ainsi de leur nature profonde : être le « fruit de la vigne et du travail des hommes » ?
De la contrainte doit naitre la créativité
François Jumeau, responsable marketing du CIVB, est en charge de la campagne actuelle des vins de Bordeaux. Dans l’interview vidéo qu’il a donnée à Marthe Henry de L’Actu du Vin, il indique que la campagne actuelle se passe bien pour l’instant parce qu’ils ont « suivi les choses au pied de la lettre » : « il faut bien évidemment travailler dans le cadre de la loi Evin. Le cadre on le connait, ça fait maintenant une vingtaine d’années qu’il est en vigueur. Je pense que ce qu’on peut en dire, c’est que de cette contrainte doit naitre aussi la créativité. Donc c’est une contrainte pour les agences de communication mais on arrive à véhiculer le même message d’une façon globale comme cela a été le cas dans la campagne développée cette année, communiquée en fin d’année et qu’on a diffusée sur notre sept pays prioritaires. »
Campagne lancée fin 2011 des Vins de Bordeaux dans le monde
Campagne lancée fin 2011 des Vins de Bordeaux en France
La disparition du vin lui-même sera t-elle la prochaine étape ?
Alors qu’aux Etats-Unis, en Belgique et en Suisse, on déguste à la télévision de façon conviviale et souriante, on peut se demander si un jour en France, premier producteur de vin au monde, on sera contraint de ne plus montrer le vin du tout et de seulement l’évoquer de loin par allusions et métaphores comme dans cette vidéo très réussie pour la maison de vin sicilienne Tasca d’Almerita où le vin a tout simplement…disparu.
Excellent résumé de l’inacceptable situation actuelle du vin dans l’imaginaire du publiciste, du public et de certains magistrats, manipulés par des lobbying vivant de la charité de l’Etat. Faute de pouvoir circonscrire par des mots précis un périmètre aussi riche et complexe que celui des images possibles du vin et de la façon de les interpréter par le public, on laisse aux magistrats le soin d’interpréter des lignes générales avec toute la mauvaise foi et l’iniquité dont l’idéologie qui les anime parfois est capable. Il faudrait pourtant au moins une fois aller jusqu’au bout de tous les recours juridiques nationaux et internationaux pour obliger le législateur français à faire enfin son travail : à savoir définir clairement les frontières entre information et publicité et non pas le laisser à l’initiative de magistrats partisans, ce qui est le contraire de l’idée même de justice dans un Etat moderne , fils des Lumières.